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Arrivé à un âge avancé, l’homme, souvent seul, et contraint à une activité physique restreinte, éprouve le besoin d’occuper sa pensée . Très souvent celle-ci le ramène au temps de sa jeunesse, au temps béni de l’exubérance enfantine, dans la chaude ambiance familiale, loin des soucis de toute nature.
Je suis né en février 1907…Je vais donc essayer de faire une rétrospective de la vie paysanne, telle que je l’ai vécue, et qui fut probablement la même dans de nombreux villages de France.
Petite enfance…
J’avais un frère, de 4 ans mon aîné, et un autre, plus jeune de 6 ans.
Un incident qui m’a marqué : en juin 1910, au cours d’une dispute-poursuite entre gamins, je suis tombé dans le puits de la Grand’Cour… Beaucoup de cris, puis la propriétaire du puits, la cousine Marie CHESNE-GOURLOT a réussi à me tirer de cette situation périlleuse, et il fallut, paraît-il, un certain temps pour me faire respirer normalement !
Petits paysans, dès 5 ans, nous partagions les servitudes familiales : garnir la table, mettre le couvert, apporter les provisions de toute nature, la boisson de la cave, l’eau du puits, le bois pour la cheminée.
Après 5 ans, école 5 jours entiers par semaine, catéchisme jeudi et dimanche, le temps « dit libre » occupé par des jeux bien sûr, mais aussi les leçons à apprendre le soir, la cueillette d’herbe à lapins, l’écossage des haricots, travaux présentés comme punition, car, paraît-il, nous étions quelquefois désobéissants !
Nous avions 2 écoles, chacune de 40 élèves, menant de l’apprentissage de la lecture au Certificat d’Etudes primaires (C.E.P.). Les maîtres étaient Monsieur CHARBOIS pour les garçons et Madame Charbois pour les filles.
Je me souviens de mon 2ème ou 3ème jour d’école, en 1912, en tenue de l’époque, assis à table avec mon camarade Raymond ROUARD, commentant à voix haute le dessin que nous venions de faire sur notre ardoise, sans nous soucier de perturber la classe… Soudain, les autres murmures cessent ; nous levons la tête, et nous apercevons, dans la main du maître, la baguette de noisetier qui s’abat sur nos têtes quasi-réunies ; instinctivement, l’un se penche à droite, l’autre à gauche…Poursuivant sa course, la baguette heurte le bois de la table, et se casse, ce qui provoque un immense éclat de rire . Le maître, souriant au début, se met en colère, nous prend chacun par une oreille et nous met, l’un au coin, l’autre au cachot noir…juste le temps de voir nos copains, – les traîtres -, riant sous cape !
Avançant en âge, on conduisait les vaches au pré ; puis vers 10 ans, on emmenait seul le cheval vers les vignes ou les champs de légumes ; là, il fallait apprendre à ne pas recevoir le pied de la bête sur le sien, cela fait très mal… ! Puis ramener à la maison les charrettes d’herbe, de foin, de céréales …les parents étant toujours là pour apprendre d’abord à « bien faire », et ensuite, « plus vite » …
Un autre événement m’a marqué : en 1911, un important incendie provoqué par la foudre au hameau de Bouteau. Notre Compagnie de pompiers a participé activement, avec un grand va-et-vient des habitants du village. Mon père et Emile Vantenay, pompiers, ont dû être soignés d’une congestion pulmonaire, contractée après avoir absorbé une boisson froide alors qu’ils étaient en sueur…
La vie du village…
J’ai donc connu notre village de Montillot avec 550 habitants , une population très laborieuse, vaquant à tous travaux avec les moyens de ce temps.
Le travail dominant dans chaque bourgade était agricole ; la plus grosse exploitation dépassait de peu 20 hectares. Tous les transports de bois et céréales étaient effectués par charrettes à chevaux et bœufs. Les ânes étaient nombreux ; cet animal exigeant peu de nourriture était utilisé pour de petits travaux et le transport des personnes âgées.
On avait souvent, en plus, une carriole à deux roues, servant au transport des membres de la famille pour se rendre, soit à certains travaux des champs, soit en ville ou aux villages voisins. Mon père, ayant des chevaux possédait un « quatre roues » avec deux bancs, pour ces mêmes usages.
Les commerçants qui, tels le boulanger, avaient des marchandises à transporter, utilisaient ce genre de berline, couverte de toile cirée. ( même les médecins n’ont eu une auto dans notre région qu’en 1920 ).
Curieusement, sauf pour chargement ou déchargement, aucun véhicule ne devait stationner sur la rue, de jour comme de nuit ; garde-champêtre et cantonnier vous rappelaient à l’ordre…Pourtant, le danger était faible ! …Je me souviens, tout de suite avant guerre, d’une seule auto, une DE DION-BOUTON , une « teuf-teuf », d’un épicier de Châtel-Censoir, Mr Guérin, qui venait une fois par semaine ; nous, les gamins, l’escortions en courant !
Le machinisme ne s’est introduit progressivement dans les campagnes qu’après la guerre 14-18 ; il existait cependant des scieries et des moulins actionnés par roues et engrenages mus par eau, et des machines à vapeur pour battre le grain.
Comme au début du siècle précédent, les ménages peu aisés prenaient en nourrice des enfants de l’Assistance Publique, cela jusqu’à 12 ans environ (sortie d’école). Ensuite ils restaient souvent dans la même maison et servaient de « commis agricoles » à petit prix jusqu’au service militaire ; les plus aptes étaient embauchés comme apprentis-artisans.
La population étant trop nombreuse, un certain nombre de jeunes en âge de travailler suivaient l’exemple de leurs aînés du siècle précédent et migraient dans la région parisienne pour des travaux agricoles saisonniers.
Ces « migrants » ont appris dans leurs pérégrinations de nouvelles façons de travailler, notamment sur les fruits et les méthodes de vente. Ils ont ainsi commencé à greffer les arbres fruitiers, et à planter framboisiers, fraisiers, cassissiers et groseillers, qui se sont comportés à merveille dans la plaine de Montiillot, le terroir leur donnant un parfum recherché …
Ils ont aussi pris l’habitude de vendre en commun, en constituant un syndicat qui écoulait à bon prix les produits vers des entreprises de transfioramation en gros. Ces ventes de fruits ont bien aidé à boucler les budgets des petits cultivateurs de l’époque ; elles ont cessé faute de main d’œuvre pour la cueillette après la guerre de 39-45.
Les distractions…
Notre village avait une Compagnie de 18 sapeurs-pompiers bénévoles, avec une pompe à bras ; ils se réunissaient « pour essayage » une fois par mois. Ils se retrouvaient aussi en grande tenue le 14 Juillet ; après avoir défilé au son de clairon et tambour, et subi l’inspection du Maire, ils animaient une fête, bien suivie par l’ensemble de la population. Chacun d’eux organisait un jeu ou une tombola. Un repas, offert par la commune, leur était servi en soirée.
Un autre repas avait lieu à la Sainte-Barbe, fête des pompiers et artilleurs ; là, chacun des membres de la Compagnie payait sa quote-part.
Mais la plus importante était la fête patronale de Saint Laurent, le dimanche suivant le 10 Août. Parents et amis sont invités dans chaque foyer ; le matin, fête religieuse ; à midi, repas avec des tas de bonnes choses ; l’après-midi, fête foraine sur la place publique, avec manège de chevaux de bois, balançoires, stands de tir, confiseries, jouets et un bal sous la tente, dont la musique anime l’ensemble de la fête. Les enfants virevoltent dans tout cela, dépensant en sucreries et babioles les offrandes des invités, ou des voisins auxquels ils avaient rendu de petits services…
Un autre fête avait lieu le 22 Janvier, pour honorer Saint Vincent , patron des vignerons, et de la Société de Secours Mutuel. Messe, repas et invités, mais pas de fête foraine. Les membres de cette Société se réunissaient : leur but était d’aider les adhérents malades et de verser une retraite à 60 ans. (Elle a été dissoute lorsque sont apparues les Assurances sociales d’Etat).
Avant 1914, il y avait aussi une Société de Gymnastique qui fonctionnait bien. Les jeunes avaient une tenue pour les exercices, et une tenue d’apparat pour les sorties en public. Les exercices en chambre avient lieu dans la salle actuelle du Foyer rural. Le Chef était Auguste Savelly (fils de Céleste).
Les pays voisins avaient aussi une Société de gymnastique, et même une Société de musique, comme Vézelay et Saint Père. Ces sociétés se regroupaient par arrondissement, avec un Chef, et une fête annuelle avait lieu ici ou là.
Je me souviens de l’une de ces fêtes qui eut lieu à Montillot, en 1912 ou 13, dans le pré à Célestin GUTTIN, avec participation des gymnastes de l’Avallonnais en tenue d’apparat. J’étais fasciné par leur chef, Monsieur Destutt, propriétaire du château de Blannay, déjà âgé, mais avec une grande stature ; avec dolman et casquette galonnée, on aurait dit un amiral !
J’ai retenu la belle démonstration d’une pyramide, par les jeunes de Montillot…Au quadrilatère du bas, il y avait Onésime GIRAUX et Charles PORCHERON ; au dessus, il y avait un trio, puis un duo, et tout au dessus, un jeune de 9 ou 10 ans, Gaston PORCHERON !
Il y avait aussi beaucoup de stands de toutes sortes, et des musiciens des pays voisins.
Je tenais par le doigt ma tante Charlotte, d’abord pour ne pas me perdre dans la cohue , mais aussi parce qu’elle était bonne pourvoyeuse de gadgets et sucreries!
La grande guerre
…Dans le village…
Dans ces années d’avant 1914 , je n’ai pas entendu de discussions dans ma famille , ni perçu de rancoeurs au sujet des grands problèmes politiques de l’époque : lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, menaces de guerre en Europe… Parents et éducateurs prenaient garde de ne rien évoquer devant les enfants de ce qui pouvait diviser.
Puis ce fut fin juillet, premiers jours d’août 1914 …Le garde-champêtre rentre à la maison et dit au maçon Léon MOREAU, qui réparait la cheminée : « Prends ton tambour et annonce que la guerre est déclarée ; les mobilisables doivent passer de suite à la mairie retirer leur fascicule de mobilisation… »
Ma mère, se tournant vers moi, me dit : « Pierre, va le dire à ton père qui fauche du blé à la Fontaine-Guinot ! »
Connaissant ce lieu, je pars aussitôt. Croisant Auguste CARILLON, celui-ci me voit agité et me dit : « où vas-tu, petit ? » « La guerre est déclarée », lui dis-je …Quelques heures plus tard, je l’ai revu à la mairie, conversant avec Robert POULIN, Léon MOREAU et Florimont CHAMPY, tous confiants et d’accord pour dire que « les Boches vont prendre une frottée, et, d’ici peu, il y aura la fête à Berlin »…
J’étais encore enfant, et ne ressentis pas la gravité de ces évènements comme une grande personne . D’autant plus que mon père ne fut mobilisé qu’en décembre 1914 et n’alla pas au front. – ayant 44 ans, 3 enfants, et passé trois ans de service militaire en Indochine -.
Cependant , il ne fut pas de jour que je n’entende parler des péripéties de cette guerre. Mes parents étaient buralistes, et les clients échangeaient tous des propos à ce sujet.
Les noms des tués, blessés ou prisonniers, nous étaient communiqués ; nous en parlions entre gamins ; le maître y consacrait certaines leçons de morale ou d’instruction civique.
Les victimes furent nombreuses les premiers mois, des jeunes dans l’infanterie, plusieurs de l’assistance publique, – célibataires pour la plupart – ; et nous étions bien émus et chagrins lorsque survenait la mort du père d’un de nos camarades de classe, difficile à consoler…
Un communiqué officiel était affiché tous les jours à la vitrine du boulanger qui tenait le téléphone public (le seul au village) ; tous les lieux de batailles y furent affichés tour à tour, Vauquoy, les Eparges, Verdun, la Somme,… le texte était toujours ambigu, l’ennemi avait toujours des pertes supérieures à celles de l’armée française… ! Je vois encore les permissionnaires, connaissant ces lieux, qui s’insurgeaient contre « ces mensonges », disaient-ils …
De temps en temps, venait en effet en permission l’un de ceux qu’on appelait les « Poilus ». je revois ainsi Emile PORCHERON (dit « Pilote ») arrivant à pied, avec casque, capote et deux musettes, grande barbe, glissant quelques mots de cette vie de tranchées, toujours sur le qui-vive, le risque de mitraille, obus ou balles, dans un trou par tous les temps…
Une autre fois, la porte de la classe s’ouvre ; sans frapper, un soldat rentre tout harnaché : « Bonjour Monsieur Charbois, me reconnaissez-vous ? » -« Ah oui, c’est donc toi, Emile ( un autre ! ), qu’est-ce que tu fais au front, quel est ton rôle ? ». Et là le soldat commence à raconter les scènes horribles auxquelles il assiste – ou participe…- chaque jour. Vite, le maître l’arrête : « Emile, tu en as déjà trop dit, tu reviendras plus tard,…mais pas devant les enfants ! ».
Notre bon maître nous faisait parfois des cours comme s’il était stratège : je me souviens de celui sur la bataille de la Marne, mettant en évidence l’imprudence de Von KLUCK, qui engagea ses troupes en pointe sur Paris sans assurer ses arrières …
A Montillot, nous étions loin du front, et n’avions pas le tracas des batailles, peu de passages d’autos et encore moins d’avions…Un jeudi matin de l’été 1918, d’une cour de ferme, j’entends un avion volant bas, cherchant à atterrir …C’est ce qu’il fit avec un grand bruit , peu de temps après. On se précipite dans la direction de la chute, vers le lieudit les Esserts ; l’avion, ayant heurté des peupliers, – les seuls dans le coin ! – a le devant en terre ; le pilote sort de la carlingue, aidé par quelques uns; traumatisé, le nez cassé, il est pansé par une infirmière du village. Les gendarmes font garder l’avion par des permissionnaires, sous les ordres de mon père, sous-officier ; au bout de 2 jours, des camions sont venus récupérer l’avion.
…Dans la famille…
Après le décès de mon grand-père maternel en août 1914 à Voutenay, son épouse (66 ans) vint en octobre habiter avec nous. Après le départ de mon père, les difficultés apparurent , surtout pour les travaux des champs ; les hommes du village encore « en force », nous aidaient, lorsque leur propre travail était terminé. Nous avions des journaliers non mobilisés, jeunes de 18 ou 19 ans au plus ; et aussi des anciens « itinérants », qui se sont fixés là pour avoir gîte et couvert et nous rendaient bien service pour le fauchage et la coupe de bois.
Ma mère dut « faire face », pour assurer la nourriture de 7 personnes, et répondre aux réquisitions ( bétail, foin, avoine…) . Elle était bien aidée par ma grand’mère, rustique et travailleuse ; en plus des travaux domestiques, celle-ci débitait le bois pour la cheminée, binait les betteraves et autres légumes . Experte dans les vignes, elle assistait d’autres cultivateurs, en échange de travaux plus durs…
Mon frère aîné André et notre cousin Gaston PORCHERON – 11 et 12 ans – parvenaient déjà à atteler les chevaux, il est vrai très dociles ; s’aidant d’une brouette pour se rehausser et mettre le collier ; à deux, ils arrivaient à mettre la charrue au sillon…
Près de 4 ans après le début de la guerre, le gouvernement français décide de libérer plusieurs classes ; mon père , 48 ans, en profite, tout en restant sous contrôle militaire. Notre culture est reprise en main. Maman geignait bien pour boucler le budget et livrer ses « réquisitions », mais nous n’avons pas souffert de la faim…On pouvait mettre de côté quelques quintaux de blé, le faire moudre et bluter par un meunier ne craignant pas les contrôles, et disposer ainsi de farine blanche…A cette époque, la plupart des cultivateurs cuisaient encore leur pain de ménage une fois par semaine. Grand’mère triturait la pâte, Maman se chargeait de la cuisson du pain, et de tout ce qui pouvait se faire au four, avec la viande de porc, les volailles, mais aussi le lait, les œufs, dont nous disposions par ailleurs ! Sans oublier les légumes du jardin, pommes de terre, tomates, poireaux, salades et haricots …et ce qu’on pouvait trouver dans la campagne et les bois, les escargots, les champignons …
…enfin !…
Un jour de novembre 1918, pendant la récréation, nous voyons arriver la télégraphiste Cécile brandissant un message. Monsieur Charbois nous réunit, nous lit l’annonce de l’Armistice et nous dit : « Mes enfants, l’école est finie pour aujourd’hui ; laissez vos cahiers et rentrez chez vous »…
Dans le quart d’heure, suivant le degré d’intimité, tout le monde s’embrassait ou se congratulait. Les cloches ont sonné longtemps, comme celles des pays voisins. Les bonnes bouteilles sortaient des caves …Mais les endeuillés étaient bien tristes…Et dans ce mois de novembre, la grippe espagnole sévissait et il y eut encore des morts …
Le 15 Février 2002
L’adolescence
L’entre-deux guerres, période laborieuse et paisible…
J’aimais aller à l’école , grâce aux qualités d’un bon éducateur. J’ai obtenu à 12 ans mon certificat d’études primaires (C.E.P.) avec la mention « Assez Bien ». J’étais considéré comme sérieux, puisque l’instituteur a insisté pour que je lise devant les personnalités le poème de Victor HUGO , – « ceux qui pieusement sont morts …,- à l’inauguration du monument aux Morts de la Guerre 14-18. J’étais très ému, mais j’ai récité « sans bavure »…
Quelques années après la sortie de l’Ecole, n’ayant plus l’occasion de « pratiquer », nous avions souvent des difficultés pour rédiger une lettre pour l’Administration dans les formes conventionnelles. L’instituteur et le prêtre servaient alors de « greffiers » à ceux qui ne pouvaient s’exprimer dans leurs lettres ; en général ils en étaient bien récompensés . Le sacrifice du porc avait lieu dans tous les foyers et ces évènements étant échelonnés , ils étaient assurés de recevoir tout le long de l’hiver rôti et boudin ! Par ci par là, une bouteille d’eau-de-vie en plus, que l’on présentait discrètement, « pour faire des grogs »…
J’ai reçu une éducation religieuse, et, comme Mr CHARBOIS, l’abbé DORNERT « m’avait à la bonne ». Ce prêtre avait été mobilisé, et après l’armistice il y eut une cérémonie de première communion pour une trentaine d’enfants ; là encore, c’est moi qui ai lu le message de remerciements…Curieusement, ce message avait été rédigé par l’instituteur ! Certes, la qualité de la prose y gagnait, et , si la séparation récente de l’Eglise et de l’Etat exigeait des fonctionnaires une certaine réserve, les deux hommes s’estimaient. D’ailleurs, la « morale laïque » enseignée alors à l’école était très inspirée de la morale chrétienne…
Catéchisme et « roulées »
J’étais enfant de chœur, avec le catéchisme le jeudi et le vendredi. Les Vendredi et Samedi Saints , il y avait les « roulées » ; avec un panier pour les œufs, une tirelire et un crucifix, nous allions de porte en porte chanter une courte prière en latin. Tout le monde donnait, même les « païens » !
Cela nous donnait l’occasion de rentrer dans tous les foyers , et d’assister à des scènes qui, souvent, nous surprenaient.
Une fois, arrivés à l’heure du repas, nous trouvons le père , le fils et la fille, mangeant avec cuillère et fourchette une fricassée de poireaux dans une écuelle commune. D’autres, pour économiser le pétrole, s’éclairaient en allumant à la flamme de la cheminée de fines écailles de bois vrillées, fichées dans une betterave …
Une autre fois, nous allions au Moulin de Marot, le samedi midi, comme d’habitude ; 4 kilomètres, en passant par Bouteau, – sans s’y arrêter, car c’était sur la paroisse de Brosses -. Habituellement, la Marie POULIN nous faisait « dîner » ; mais cette fois, la meunière était absente pour la journée et son mari n’a pu que s’excuser…Exténués et affamés, les gamins, repassant par Bouteau y sont interpellés par la « Parisienne », à qui ils racontent leur mésaventure . « Il ne sera pas dit que j’aurai laissé jeûner des enfants du Bon Dieu, venez… », nous dit-elle. Et nous rentrons : deux ou trois galettes au poireau fument encore, gonflées, qu’on aurait dit le dos d’un crapaud…, un fumet …une odeur de pâte cuite… ! A la maison, mon frère André n’aimait pas la galette aux poireaux ; là, il l’a mangée avec appétit…Depuis ce jour mémorable, il en redemandait à ma mère, si bien que celle-ci disait : ‘la Parisienne t’a ensorcelé, ma parole ! ».
Le Curé nous partageait équitablement le produit de la quête ; le surplus des œufs allait chez une de nos mamans qui confectionnait une omelette baveuse aux fins herbes,…je ne vous dis que çà !
ni poulet, ni coq
Diverses activités « civiques ».
A 14 ans, formé aux travaux de mon âge, entraîné et encouragé par mon frère aîné, les conseils d’un bon père, toujours conciliant, les dictons de M’man Guitte, j’aidais de mon mieux à la vie courante de ma famille paysanne.
J’ai remplacé mon frère comme sacristain et sonneur ; payé pour l’Angélus par 2 personnes charitables et le midi par la commune, dont je devenais ainsi un fonctionnaire !
Un jour malgré mes réticences, – je lui ai dit que je ne voulais pas être la risée du public -, le Maire Célestin GUTTIN m’a convaincu de devenir « appariteur – tambour », en me promettant de m’accompagner au début. Il m’a lui-même « amarré » le tambour et, sur la place publique, « vas-y ! ». Les baguettes se sont un peu emmêlées, mais ma voix a été jugée « bien timbrée » …et j’ai continué jusqu’en 1927 !
Puis le prêtre, musicien consommé, possèdant une forte et belle voix , a tenu à m’apprendre le plain-chant et la musique pour remplacer Jeanne DEFERT qui se mariait (Jeanne, la sœur d’Emile, le coiffeur d’Avallon…).Je n’étais pas doué ; à l’harmonium, je n’avais pas droit à l’accompagnement, de peur des « couacs » Il m’a prêté un petit harmonium, et, chez mes parents, je jouais les scies à la mode, « le p’tit Parisien », les chansons de Botrel …
Après la séance de catéchisme, le curé nous amusait, racontant des histoires ou faisant le guignol avec son calot de militaire (il venait d’être libéré en 1918) et sa canne comme fusil ! ( il faut savoir que notre curé était un colosse, bon vivant et qui d’hésitait pas à répondre par un bon coup de pied dans la partie charnue du bas du dos à celui qui lui manquait de respect !).
En cette période, les cérémonies liturgiques, à la St Vincent et la St Laurent, en latin et musique plain chant, étaient impressionnantes … Mon cousin Charles PORCHERON chantait le Noël d’Adams, le Credo du paysan, et même l’Ave Maria de Gounod ! Sa belle voix charmait aussi les réunions familiales ; et je me souviens d’avoir vu pleurer ma grand’mère à qui il avait dit chanter pour elle « les bonnes vieilles de chez nous ».
Un autre rôle que l’on m’a fait tenir : serveur et caviste au cours d’un beau mariage …
Un mariage à Montillot…
Notre instituteur avait 4 filles ; en 1923, c’est Hélène qui se mariait, à l’église, avec un instituteur .
Il y avait des « officiels », le Maire et ses conseillers, le notaire, le Docteur ROCHE, conseiller du canton ; et tout le village sur la Place lorsque les mariés parurent sur le parvis ; le cortège des invités suivant le violon d’Alfred DEFERT, les autres allant se désaltérer dans les trois bistrots du village.
Et puis le repas des noces…
ARNOUX, – prévu comme caviste -, ayant sa crise d’asthme, Mr CHARBOIS vint demander à mon père que je le remplace « sur le pouce », alors que j’étais en train de distribuer la nourriture au bétail ! J’ai vite changé de tenue !
Il y avait parmi les invités un Mr GUEHO, qui avait été pendant des décennies valet de pied dans une grosse maison bourgeoise. En quelques minutes, il m’a enseigné la façon de placer les doigts sur la bouteille, comment verser le liquide et ensuite essuyer légèrement le goulot, les mots polis à dire, l’ordre dans lequel on devait servir…Valentine MOREAU, présente elle-aussi , m’a prodigué quelques conseils complémentaires, pour que je ne me laisse pas influencer par certains convives !
Au début, tout s’est bien passé : le gars Pierre se sentait bien dans sa personne…Mais voilà l’incident : un bouchon qui part trop vite et le Champagne qui se répand sur la robe d’une demoiselle d’honneur, …cris de dinde effarouchée…, mon Pierre rouge comme une pivoine, ne sachant que faire. Mais des braves gens , hors étiquette, sont venus à mon secours , – le champagne, ça ne tache pas ! – et j’ai repris mon service correctement jusqu’à la fin du repas.
On m’a alors invité à participer à la noce avec les autres jeunes invités. La sœur du marié a même essayé de m’apprendre un pas de danse !
Ma première « histoire de chasse ».
C’était en 1919 ou 1920, en avril ; j’étais parti chercher des nids, vers Guigne-Chien, Collerette et la plaine de Brosses, lieux que je connaissais bien, allant souvent après l’école, porter des escargots, ou d’autres choses, à mon oncle le curé de Brosses ou à ma tante Marie FOURNIER. A ma surprise, je vois une ligne de chasseurs, dont mon père. Perché sur un grand orme à côté d’un nid, j’observe deux chasseurs qui visaient un lièvre, ne voyant pas arriver un gros sanglier. Je hurle très fort, mais le sanglier se détourne…C’était raté ! Comme les chasseurs, de dépit, levaient les bras en l’air, je leur en annonce un autre : tiré de trop loin, il passe…On entend alors les aboiements caractéristiques d’un chien qui poursuit un autre sanglier . Sans attendre, je déguerpis par une « ligne » (allée déboisée qui sépare deux parcelles), des œufs de pie et de corbeau plein mon mouchoir ; j’arrive en haut de la « Côte », près de l’ancienne carrière, et j’entends un chien qui se rapproche, puis se tait, puis un fort hurlement, suivi de « houp, houp … » et je vois ce dont il s’agit : la grosse bête noire tient tête au chien, lequel appelle son maître…Le cœur battant, je hurle moi aussi, poussant des cris que je veux terrifiants …Puis, un « déboulé » du grand noir qui va vers son destin, …deux coups claquent, le BUSSET d’Asquins vient d’ajouter une victoire à son tableau déjà bien garni ! J’ai vite rejoint le rassemblement ; une bête très grosse est étalée…Le « tueur » s’adressant à moi : « C’est toi, petit, qui a crié de là-haut ?…Oui ! C’est toi qui as le mérite du résultat !
J’étais très fier de ce compliment devant mon père !
Un chasseur ajoute : « il mérite une part ! » ; un autre rétorque : « il est convenu qu’on ne donne qu’aux traqueurs présents au départ de la chasse ! »
J’obéis à mon père qui me dit « Va vite rejoindre ta mère qui s’impatiente ! »
Revenu à la maison, mon père dépose sur la table sa part, …et la mienne ! « Ton oncle Rosa , et presque tous ont plaidé pour toi ! »
…Tout gamin que j’étais (« ni poulet, ni coq », comme disait l’abbé DORNERT…), j’ai apprécié ce geste égalitaire !
L’exploitation familiale…
Après la guerre, est vite apparue la nécessité d’accroître la superficie cultivable et de commencer à se « mécaniser ». Mon frère aîné avait 17 ou 18 ans quand il a suggéré à mon père de louer des terres, en plus de celles appartenant à deux oncles qui n’habitaient plus le pays.
Le cousin Jules venant de décéder en 1918, sa veuve n’ayant pas d’enfant, a bien voulu nous louer 8 ha de terres. Nous avons acheté une machine à faucher, une râteleuse et une belle jument, Sirène.
On remarquait à cette époque que les filles du village s’émancipaient, se faisaient couper les cheveux et faisaient les yeux doux, de préférence aux garçons qui cherchaient une place de fonctionnaire, d’employé de bureau, de gardien de propriété…Adieu les vaches et les culs-terreux !
Moi, ce métier me plaisait, m’avait « pris aux tripes » ; j’avais 16 ans, j’aidais mes parents, et j’avais le temps de penser à autre chose !
J’ai appris à faire le travail avec n’importe quel outil. Et au milieu d’une équipe, un bon devant, un autre bon derrière, que l’on soit jeune ou nonchalant, on est obligé de suivre ! Comme dans un attelage, on met au milieu le jeune cheval à dresser …
Travaux « sous-traités » à la tâche
Lorsque le travail sur notre exploitation nous le permettait, nous faisions par ci, par là des « journées » chez l’un ou l’autre, au taillage ou piochage des vignes, au labourage ou à l’arrachage, enfin aux battages ; l’hiver, abattage du bois pour un marchand ou un particulier, avec hache (la « cognée »), scie, passe-partout, serpe…
Je suis resté très attaché à ce travail dans les bois ; il laissait une totale indépendance ; « à la tâche », plus on travaillait, plus on gagnait…Et l’exigence d’un travail bien fait : laisser un chantier et une coupe « propres » …
A midi, nous nous retrouvions autour d’un bon feu de braises rouges préparé par l’un d’entre nous ; assis le chaudron entre les jambes, le « fricot » cuit ou réchauffé, nous mangions, qui des haricots au lard fumé, qui des harengs ou des pommes de terre cuits à la braise, du fromage de tête de cochon, du fromage maison, du vin de nos vignes, un bon café chaud, et pour finir un sucre trempé dans un quart de soldat, où avait été versé un peu de marc, ou d’eau-de-vie de prune ou de cerise !
Le soir, on rassemblait les braises rouges en les recouvrant d’une couche de cendres et on rentrait à la maison ; 2 ou 3 km à pied, la besace au dos, les sabots claquant sur le sol gelé . En soirée, les vêtements secs, un grog ou un vin chaud dans l’estomac, on avait retrouvé la forme…Avant d’aller au lit, on pouvait encore s’octroyer des châtaignes grillées – du bois du Gros Fou -, avec un verre de vin blanc de la vigne des Sablons …
En 1923, – j’avais 17 ans -, Onésime GIRAUX , avec l’accord de mon père, m’embauche en août pour un travail de terrassement au manoir appartenant à Monsieur LEHARLE . Trois autres ouvriers faisaient partie de l’équipe, GAILLARD, GUILLEMARD et Gaston PORCHERON. Onésime transportait la terre en charrette. Nous avions chacun 5 francs par mètre cube. Travail très dur sur 9 journées, du petit jour au soir à la fraîche, avec arrêt de 2 à 3 heures de l’après-midi. A la fin, chacun de nous a touché 450 francs, soit 50 francs par jour travaillé, alors qu’au bois en hiver, on ne gagnait pas plus de 12 Francs…Ce fut pour mon père un bon supplément au budget familial . J’ai été récompensé par une bonne prime, …et le contentement d’être classé « bon ouvrier ».
Les évènements familiaux…
C’est cette année-là que mon frère André est parti au Service militaire à Chalons-sur-Marne ; il est revenu en novembre 1924. Dans une lettre annonçant son retour, il nous prévenait que, ne voyant pas d’avenir dans la culture, il envisageait une place en ville ; en même temps, il me chargeait de trouver un chantier au bois pour tous les deux…
A la fenaison 1924, le cousin Jules dit à mon père : « Charles, tu as une extinction de voix qui dure trop longtemps, va voir un médecin ! ».
Le médecin de Vézelay lui dit : « Ce n’est rien, mais consultez tout de même un spécialiste ! ». Mon père, un peu vexé, attend, et ne consulte qu’en octobre. Trop tard ! L’irréversible était engagé. Après 2 mois de souffrances, il est parti à la mi-janvier, nous laissant tous avec une immense peine…
Mon frère a dirigé l’exploitation jusqu’au 1er Octobre, et il partit rejoindre l’emploi qui lui était offert à Vierzon. Dans cette période, il a complété mon apprentissage de ce métier de cultivateur, si prenant et si complexe.
Puis la vie a repris ses droits…Cependant, les traditions exigeaient de marquer le deuil : pas d’amusement public … Je venais d’avoir 18 ans et n’étais donc pas majeur; j’ai demandé à ma mère de me cautionner pour un permis de chasse . Elle a d’abord refusé, pensant que mon travail s’en ressentirait. Puis, mon frère et mes 3 oncles étant intervenus, j’ai promis que je ne chasserais que le dimanche !
Mes compagnons de chasse étaient des amis de mon père, « gens des tranchées » qui m’ont adopté dans leur groupe. J’ai ainsi appris en parcourant champs et bois, beaucoup de choses de l’ancien temps.
En longeant ou traversant une parcelle de terre, on citait tout naturellement le propriétaire actuel, mais aussi celui d’avant, et on évoquait des anecdotes ou des farces où les uns ou les autres étaitent impliqués… (Rendez-vous compte que ces « propriétaires d’avant » étaient nés au début du siècle précédent ! ) . Parmi les 4 cafés-bistrots, le favori de cette bande de jeunes était alors, – avant 14 …- celui d’Eugénie GARNIER , une des filles de la Tante Rose. Je l’ai connue, toujours contente et indulgente pour les frasques de ces « petits » !
Au printemps 1926, Auguste, mon jeune frère, qui m’aidait bien, est tombé du grenier. Rien de cassé, mais une jaunisse qui l’a rendu indisponible au moment des semailles. Ma mère a dû régler tous les frais ( pas de « Sécu » !). Et moi, j’ai pu faire front au travail…
L’entrée dans la vie d’homme
Le Service militaire.
En mai 1927, incorporation au 21ème Dragons à Lure. Le campagnard fait connaissance avec une nouvelle vie, en commun avec des jeunes d’origines et de tempéraments très différents, et l’obligation de respect d’un règlement . Aussi avec la notion de « classe » liée à l’ancienneté sous les drapeaux ; il y a les « bleus », les « piafs » et les anciens, avec des corvées différentes ; aux « bleus » les basses besognes !
Après 3 mois de classes, partie à pied, partie à cheval, je fus inscrit au peloton de brigadier , et rapidement, sans avoir de galons, j’ai eu l’expérience des responsabilités de commandement, et des sanctions appliquées pour des incartades de subordonnés…J’ai encore le souvenir cuisant d’une marche de 27 km, manteau et mousqueton sur le dos ; je suis allé au bout, alors que mes cinq compagnons ont été tour à tour ramassés par l’ambulance ! Et, bizarrerie de la vie militaire, alors que je rentrais épuisé au casernement, on m’accordait une permission de 18 jours ! J’arrivais à 11 heures du soir à Montillot, après 7 km de plus, par les Hérodats, et ma mère m’ouvrait la porte, lampe pigeon à la main ; j’ai avalé ce qu’elle m’a présenté et j’ai dormi aussitôt. Pendant cette permission, nous avons travaillé ferme avec mon frère Auguste. Emblaves faites, je suis reparti moins angoissé pour la Haute-Saône…
Après une autre punition, que je trouvais injuste, je me suis buté et j’ai voulu arrêter le peloton de brigadier. Après discussion la punition a été suspendue et j’ai été nommé brigadier, affecté au 31ème dragons à Lunéville.
Là, j’ai souvent dû défendre mes « bleus de chambrée » contre les brimades et corvées excessives ordonnées par les sous-officiers, tous des « engagés ».
Je dois une mention particulière à l’Adjudant-Chef MONTCHABLON, qui, à mon avis aurait mérité d’être officier, par son aisance avec supérieurs et subordonnés, sa connaissance des chevaux, qu’il nous a appris à aimer, à dresser, à panser et soigner. Son équipe à cheval, la nôtre, était, je vous assure, belle à voir, défilant dans un ordre parfait, hommes et chevaux en confiance…Lui, avait fait du sien un cheval de cirque, à genoux, debout, une patte, l’autre… ; le cheval comprenait, cela se voyait à ses bons yeux doux, à sa mine !
Et je suis finalement revenu à la maison un jour d’octobre 1927 ; ma mère, prévenue, avait payé mon permis de chasse, et dès le dimanche matin, je suis parti avec mon chien. Il pleuvait et j’ai passé la matinée dans une cabane, mais je me sentais tellement libre !
A nouveau en famille au village…
Avec Auguste nous avons repris les travaux saisonniers. Mon frère aîné venait nous conseiller et nous aider pendant ses congés. En hiver, je me suis mis au transport de bois pour améliorer le budget.
La vie s’écoulait ; la grand’mère aidant toujours, fâchée si on voulait la soustraire à ses menues besognes, toujours citant ses dictons et rappelant les us et coutumes…Un matin , je la relève de terre, la figure ensanglantée ; congestion cérébrale, deux jours sans connaissance, puis reprise de quelques heures, et le soir , elle s’en est allée à 83 ans où nous irons tous …C’était en …..1931.
Le village ?
Quatre ou cinq autos seulement , une cinquantaine de cultivateurs, 2 menuisiers, 2 maréchaux-ferrants, un ou 2 charrons, 3 maçons, 3 bistrots , 3 épiciers, un boulanger, un tabc-régie (ma mère), 2 écoles, avec 50 élèves ; un bal, chez DEFERT, tous les dimanches et fêtes, St Laurent, St Vincent et St Eloi. Le 1er mai, branle-bas, tout ce qui traîne est apporté en vrac sur la place publique. Chez moi, j’étais bien placé pour voir la joie ou le dépit de ceux qui venaient reprendre des objets familiers, une cocotte, un essuie-pieds, une charrue, une roue, des pots de fleur…Cette nuit-là, on ficelait un grand et jeune bouleau en haut duquel se balançait un bouquet de lilas, du beau pour les filles avenantes et sérieuses, moins beau pour les trop galantes, un bouquet d’épines pour celles qui l’étaient trop …
Il y avait alors une cinquantaine d’ânes au pays ; c’était l’auto des vieux !
En 1933, Maman est avisée de l’arrivée prochaine dans la maison voisine des cousines CAMBUZAT , – descendantes des CARILLON – ; elles demandaient que nous leur réservions comme d’habitude lait, beurre et fromage…Elles étaient cette fois accompagnées d’une jeune fille, originaire de Longueil-Ste Marie, un village de la Somme…J’ai bien connu ce village au mois de novembre suivant, …car j’y ai épousé Renée ! Une fille l’année suivante, un garçon en 1938 …Mais là, c’est notre histoire, à nous !
Quant à l’Histoire , – avec un grand H – , elle se rappelait à nous : des nuages noirs s’amoncelaient sur l’Europe …